Emmanuelle, en tant que déléguée régionale Ile de France du collectif Femmes de Santé, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le collectif Femmes de Santé et ses objectifs ?

Créé en 2019, le collectif Femmes de Santé est une communauté engagée qui réunit aujourd’hui plus de 2 700 membres issus de tous les secteurs de la santé : hôpitaux, entreprises, institutions, secteur public, privé ou associatif. Majoritairement composé de femmes, le collectif inclut également une cinquantaine d’hommes. On y retrouve une grande diversité de profils : médecins, infirmier(e)s, dirigeant(e)s, patient(e)s expert(e)s, aidant(e)s, étudiant(e)s, pharmacien(ne)s, entrepreneurs, psychologues, consultant(e)s, cadres de santé, etc.

Notre raison d’être est claire : contribuer, par la sororité, l’intelligence collective et la pluridisciplinarité, à co-construire un système de santé durable, équitable et plus égalitaire. Nous valorisons l’expertise et les initiatives des femmes de santé, en les mettant en lumière et en leur donnant les moyens d’agir.

Depuis plus de cinq ans, le collectif est reconnu pour son savoir-faire et ses propositions concrètes autour de trois thématiques majeures : la place des femmes dans les métiers de la santé, la santé des femmes et la santé environnementale.

Ces sujets sont abordés par cycles triennaux afin de mesurer les avancées réelles. En 2025, le collectif concentre ses actions sur la santé des femmes, poursuivant les propositions initiées en 2022. 

Au cours des Etats Généraux 2024 de votre collectif vous avez émis 15 recommandations pour améliorer la place de la femme dans le secteur professionnel de la santé.  Qu’est-ce qui a motivé ces travaux ?

Ce qui a motivé ces travaux, c’est un constat partagé : malgré leur présence majoritaire dans les métiers de la santé, les femmes restent sous-représentées aux postes de décision, trop souvent invisibilisées, et encore exposées à des inégalités persistantes.

Les États Généraux 2024 du collectif Femmes de santé ont été l’occasion de donner la parole à celles qui font le système de santé au quotidien : soignantes, dirigeantes, chercheuses, étudiantes, entrepreneuses, toutes engagées. Ce sont leurs expériences, leurs constats de terrain et leurs propositions concrètes qui ont nourri nos réflexions.

Notre ambition avec ces 15 recommandations est double : faire évoluer les pratiques et les mentalités, mais aussi proposer des leviers d’action aux décideurs, pour construire ensemble un secteur de la santé plus équitable, plus inclusif et donc plus performant. Il ne s’agit pas seulement de justice sociale, mais aussi d’efficacité collective : l’égalité professionnelle est un levier de transformation positive pour tout notre système de santé.

Comment ont été élaborées les recommandations ?

Ces recommandations ont été élaborées de manière collaborative, à partir d’une large consultation des membres du collectif et d’ateliers de travail organisés dans le cadre des États Généraux 2024.

Nous avons mobilisé notre réseau de plus de 3 000 femmes actives dans tous les secteurs de la santé, en leur donnant la parole sur leurs parcours, leurs difficultés, mais aussi leurs idées et leurs solutions. Des groupes de travail pluridisciplinaires ont ensuite été constitués pour analyser les contributions, croiser les regards (soin, recherche, management, formation, entrepreneuriat…) et formuler des propositions concrètes, opérationnelles et réalistes.

Ce processus participatif a permis de faire émerger des recommandations ancrées dans le réel, portées par celles qui vivent au quotidien les inégalités dans le monde de la santé. Il reflète l’ADN du collectif : un espace d’écoute, de co-construction et d’action.

Ces recommandations font la lumière sur un certain nombres d’obstacles auxquels les femmes sont confrontées. Quelles sont aujourd’hui les principales difficultés rencontrées par les femmes dans le secteur de la santé ?

Les femmes dans le secteur de la santé sont confrontées à plusieurs obstacles majeurs, malgré leur forte représentation dans les effectifs.

Parmi les principales difficultés identifiées :

1. Le plafond de verre : les postes à responsabilité, les fonctions de direction et les espaces de décision restent très majoritairement occupés par des hommes, alors même que les femmes sont largement majoritaires dans de nombreux métiers du soin.

2. Les inégalités salariales et de carrière : à compétences égales, les écarts de rémunération persistent, tout comme les freins à la progression de carrière, en particulier à certains moments clés de la vie professionnelle (maternité, temps partiel, retours de congés…).

3. Le manque de reconnaissance : de nombreux métiers à prédominance féminine sont encore dévalorisés socialement et économiquement, alors qu’ils sont essentiels au bon fonctionnement de notre système de santé.

4. La charge mentale et l’équilibre vie professionnelle / vie personnelle : les contraintes horaires, la pénibilité et l’intensité émotionnelle du travail dans la santé s’ajoutent à des charges domestiques encore inégalement réparties.

5. Les violences sexistes et sexuelles : elles existent aussi dans le secteur de la santé, parfois tues, parfois banalisées, avec des mécanismes de signalement et de protection encore trop faibles.

Ces freins ne sont pas une fatalité. C’est pourquoi nous militons pour des actions concrètes, à tous les niveaux, afin de permettre aux femmes de la santé d’évoluer dans des environnements plus justes, plus sûrs et plus égalitaires.

Pouvez-vous nous présenter quelques recommandations clés qui pourraient avoir un impact significatif ?

Certaines recommandations peuvent avoir un impact concret et rapide si elles sont mises en œuvre à grande échelle. En voici quelques-unes, particulièrement structurantes :

1. Instaurer un congé parental égalitaire pour les deux parents, à prendre dans les six premiers mois suivant la naissance.
   Cette mesure vise à réduire les discriminations à l’embauche et à favoriser un équilibre plus juste entre vie professionnelle et vie personnelle, dès la naissance de l’enfant.

2. Former, dès le plus jeune âge, à l’égalité et lutter contre les stéréotypes.
   Cela passe par une politique de transformation sociétale incluant la formation des enseignants, mais aussi des programmes d’empowerment féminin en formation post-bac (prise de parole, confiance, leadership…), et la mise en place de programmes de mentorat dès la formation initiale.

3. Déployer une charte “Réussir au féminin”
   Les universités, établissements et entreprises de santé pourraient y adhérer pour formaliser leur engagement à promouvoir les carrières féminines dans la santé.

4. Renforcer la prévention et le traitement des violences sexistes et sexuelles (VSS).
   Cela comprend l’organisation d’entretiens annuels par des intervenants externes, la protection des témoins et victimes, la création de cellules d’experts impartiaux et la mise en place de programmes de soutien psychologique.

5. Mobiliser les hommes comme alliés de l’égalité
   Les recommandations encouragent la création de binômes mixtes, la sensibilisation aux biais de genre dès la formation initiale et continue, et le co-développement de plans d’action avec des indicateurs de suivi concrets.

6. Valoriser l’index égalité professionnelle
   Cet outil, encore peu connu dans le secteur de la santé, permet de mesurer l’écart de rémunération, les promotions, les augmentations après un congé maternité et la présence de femmes parmi les plus hautes rémunérations.

Ces mesures, portées collectivement, peuvent véritablement faire évoluer les mentalités et les pratiques dans le secteur de la santé. C’est tout le sens de notre démarche : proposer des leviers d’action concrets, adaptés au terrain, pour faire progresser l’égalité. 

Quelles sont les prochaines étapes pour que ces recommandations soient mises en place ?

L’étape suivante, essentielle, c’est le passage à l’action. Ces recommandations ne doivent pas rester lettre morte : elles ont vocation à nourrir des plans d’action concrets, au sein des établissements, des institutions et des entreprises du secteur de la santé.

Pour cela, plusieurs leviers sont envisagés :

1. Diffuser largement les recommandations auprès des décideurs publics, des directions d’établissements, des ordres professionnels, des universités et des fédérations, afin de susciter une prise de conscience et un engagement collectif.

2. S’appuyer sur les dynamiques locales : les établissements de santé, les écoles, les structures de soins peuvent dès maintenant s’emparer des recommandations, les adapter à leur contexte et initier des projets pilotes. Le collectif Femmes de santé est prêt à accompagner ces démarches.

3. Mettre en réseau les actrices et les acteurs engagés : en valorisant les initiatives existantes, en favorisant les échanges de bonnes pratiques, et en animant des communautés d’action autour de l’égalité.

4. Évaluer, suivre, ajuster : pour que ces recommandations aient un impact durable, il est essentiel de définir des indicateurs de suivi et de mesurer les progrès réalisés.

Enfin, notre ambition est de porter ces propositions dans les espaces où se décident les politiques de santé. L’égalité entre les femmes et les hommes dans ce secteur ne doit plus être un sujet périphérique : c’est un levier central de transformation et de performance.

Pour conclure, quel message souhaitez-vous adresser aux femmes qui souhaitent s’engager ou évoluer dans le secteur de la santé ?

À toutes les femmes qui souhaitent s’engager ou évoluer dans le secteur de la santé, nous voulons dire ceci : votre place est légitime, votre voix compte, et vos ambitions sont non seulement légitimes, mais nécessaires.

Le secteur de la santé a besoin de vous, de vos compétences, de votre engagement, de votre leadership. Trop souvent, les freins que vous ressentez ne sont pas le fruit du hasard, mais le reflet de systèmes encore inégalitaires. Mais ensemble, nous avons le pouvoir de les transformer.

Ne doutez pas de votre valeur. Entourez-vous, osez demander, osez postuler, osez prendre la parole. Et surtout, n’attendez pas d’être parfaite pour vous lancer.

Le collectif Femmes de santé est là pour vous accompagner, vous connecter à un réseau bienveillant, et porter collectivement des actions pour que chaque femme dans le monde de la santé puisse s’épanouir, progresser, et impacter positivement notre système de soins.

 Vous n’êtes pas seules. Et c’est ensemble que nous faisons bouger les lignes.

 Pour devenir membre vous devez le faire via la plateforme : FDS - candidature