4 novembre 2025
Edouard Gasser (Tilak Healthcare) : "Quand la technologie sert la médecine, tout le monde y gagne "
Nos entrepreneurs ont du talent : Edouard Gasser (Tilak Healthcare)
Nous vous proposons un nouveau rendez-vous à la rencontre des entrepreneurs à succès dans le domaine du numérique santé : « Nos entrepreneurs ont du talent ». Aujourd’hui partons à la rencontre de Edouard Gasser, CEO de Tilak Healthcare.
Edouard, pouvez-vous revenir sur votre parcours et nous dire ce qui vous a conduit à l’entrepreneuriat en santé ?
J’ai toujours été passionné par la technologie et l’humain. Avant de fonder Tilak, j’ai passé plusieurs années dans l’univers du jeu vidéo, chez Gameloft, où j’ai eu la chance de diriger des équipes en France et à l’étranger, notamment aux États-Unis et en Espagne.
Mais à un moment, j’ai eu envie de donner un autre sens à mon travail : utiliser la puissance du numérique, du design et du jeu pour contribuer à un impact concret sur la santé. C’est ce qui m’a conduit à l’entrepreneuriat en e-santé — un secteur à la croisée de l’innovation, de la rigueur scientifique et de l’utilité sociale.
Vous avez cofondé Tilak Healthcare en 2016 avec le Professeur José-Alain Sahel. Comment est née cette aventure entre innovation technologique et expertise médicale ?
Tout est parti d’une rencontre.
Le Professeur José-Alain Sahel (ophtalmologiste mondialement reconnu et créateur de l’Institut de la Vision) cherchait un moyen de suivre à domicile ses patients atteints de maculopathies chroniques, notamment pour optimiser les cycles d’injection et traiter les patients au bon moment.
De mon côté, je voyais le potentiel des mécaniques de jeu pour maintenir l’attention, la motivation et la régularité.
Nous avons décidé d’unir nos deux univers : la médecine et le jeu vidéo. Tilak est née de cette conviction commune qu’il était possible de créer des outils à la fois scientifiquement rigoureux et agréables à utiliser pour les patients.
Tilak Healthcare est née de la rencontre entre la santé et le jeu vidéo. Pouvez-vous nous raconter comment cette approche ludique a trouvé sa place dans un univers aussi exigeant que l’ophtalmologie ?
Pour optimiser le parcours de soins, il faut réussir à suivre la vision du patient fréquemment et à domicile. Or, c’est un vrai défi : comment s’assurer que le patient réalise ces tests régulièrement, depuis chez lui, sans perte de qualité ?
Jusque-là, les ophtalmologistes proposaient la célèbre grille d’Amsler à accrocher sur le réfrigérateur. Une solution simple, mais imparfaite, car elle ne garantissait ni régularité ni fiabilité.
Nous avons vite compris que les technologies numériques, et plus particulièrement le jeu vidéo, avaient ce formidable atout : engager les utilisateurs sur le long terme.
Nous avons donc transformé les tests visuels réalisés en consultation en une expérience gamifiée, conçue avec des médecins, pour que la collecte de données soit à la fois engageante et standardisée.
Au début, certains ont souri à l’idée d’un « jeu médical » ; aujourd’hui, cette approche fait ses preuves avec plus de 30 000 patients suivis et un ophtalmologiste sur cinq en France prescripteur d’OdySight®.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore OdySight®, pouvez-vous expliquer en quoi consiste concrètement cette solution de télésurveillance et comment elle fonctionne au quotidien pour les patients et les médecins ?
OdySight est une application mobile, prescrite par les ophtalmologistes, qui permet aux patients atteints de maladies chroniques de la rétine, comme la DMLA ou l’œdème maculaire diabétique, de tester leur vision régulièrement à domicile. Les résultats sont automatiquement envoyés à leur médecin, qui est alerté en cas de baisse significative de la vision.
Concrètement, cela permet d’anticiper les rechutes, d’ajuster les traitements plus rapidement, et d’éviter des déplacements inutiles.
Chaque jour, le patient se connecte à l’application, se teste et joue pendant cinq minutes. L’expérience est courte, agréable et fluide, tout en restant fiable grâce à deux technologies brevetées : l’analyse de la distance du visage par rapport à l’écran et de la luminosité ambiante, garantissant la reproductibilité des tests.
Comment la dimension clinique et la validation scientifique de vos études ont-elles contribué à crédibiliser OdySight® dans le parcours de soins ?
Nous avons mené plusieurs études cliniques en France, notamment avec l’Hôpital des Quinze-Vingts, et plusieurs centres de référence ont conduit des travaux indépendants.
Ces études ont démontré la corrélation entre les tests OdySight et les mesures classiques réalisées en consultation, mais aussi l’impact concret sur le parcours de soins.
Grâce à une expérimentation Article 51 réussie, menée sur plus de deux ans et auprès de plus de 15 000 patients, nous avons également généré une quantité inédite de données de vie réelle, montrant une adoption à grande échelle.
Cette rigueur scientifique a été déterminante : dans la santé, il ne suffit pas d’innover, il faut prouver, et le faire de manière continue.
L’alliance entre données de vie réelle et preuves cliniques solides nous a permis d’obtenir la confiance des médecins et, plus récemment, l’avis favorable de la HAS pour le remboursement via le dispositif PECAN.
Mais il reste encore beaucoup à faire : il faut continuer à démontrer, sur le long terme, la valeur de la télésurveillance et des dispositifs médicaux numériques.
Vous venez d’obtenir un avis favorable de la HAS pour le remboursement d’OdySight® dans le cadre du dispositif PECAN. Que représente cette décision pour vous et pour l’entreprise ?
C’est une étape majeure. C’est la première fois qu’une solution de télésurveillance en ophtalmologie obtient un remboursement en France.
Pour nous, c’est à la fois une reconnaissance du travail accompli et un signal fort pour tout l’écosystème.
Nous avons connu des moments d’incertitude, notamment après avoir manqué d’une voix le remboursement de droit commun plus tôt dans l’année, mais cette décision confirme que la télésurveillance devient une réalité dans le parcours de soins.
C’est aussi une victoire pour les patients, qui vont enfin pouvoir bénéficier d’un suivi continu pris en charge par le système de santé.
Vous avez traversé un parcours réglementaire exigeant, marqué par de nombreuses étapes. Quelles leçons tirez-vous de cette trajectoire ?
Que la persévérance est une vertu fondamentale dans la santé numérique.
Être pionnier, c’est souvent avancer sans carte. Nous avons dû apprendre à dialoguer avec les institutions, comprendre leurs attentes et adapter notre discours sans jamais perdre notre vision.
Je retiens surtout que l’écoute, la transparence et la patience finissent toujours par porter leurs fruits.
Ce feu vert de la HAS ouvre la voie à d’autres dispositifs de télésurveillance. Pensez-vous que cette décision marque un tournant dans la reconnaissance des solutions numériques en santé en France ?
Je l’espère, et j’y crois !
Il y avait déjà une première vague de dispositifs de télésurveillance remboursés suite à la sortie du programme ETAPES (en Cardiologie, Diabète, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire et oncologie)
Le dispositif PECAN montre aujourd’hui que la France est capable de tester, évaluer et valoriser l’innovation, tout en garantissant la sécurité et la qualité du soin.
C’est un message positif pour tout l’écosystème : les start-ups, les industriels, mais aussi les médecins qui hésitaient encore à adopter ces outils. On entre dans une nouvelle ère : celle d’une médecine connectée, validée et remboursée.
Le chemin est exigeant, certes, mais il se trace. Et on voit bien que les autorités ont conscience de l’importance que le numérique va avoir pour la médecine de demain.
Une fois les règles connues et les cadres clarifiés, les start-ups oseront davantage et pourront naviguer plus sereinement.
Quelles sont les prochaines étapes de développement ou actualités pour Tilak Healthcare ?
Notre priorité est désormais le déploiement national du PECAN, pour garantir une transition fluide pour les milliers de patients déjà suivis.
En parallèle, nous travaillons à étendre OdySight à d’autres pathologies oculaires, et à préparer notre expansion européenne et internationale.
Nous souhaitons également renforcer nos collaborations avec les laboratoires et les acteurs du parcours de soins afin d’intégrer OdySight dans des modèles de prise en charge plus globaux.
Enfin, quel message souhaiteriez-vous adresser aux dirigeants de santé qui suivent avec attention votre parcours et vos solutions ?
La transformation du système de santé ne viendra pas d’une seule technologie, mais d’une coalition d’acteurs engagés autour d’une même vision : celle d’un soin plus préventif, plus personnalisé et plus accessible.
Je les invite à oser collaborer avec les innovateurs, à tester, à expérimenter.
Quand la technologie sert la médecine, tout le monde y gagne : les patients, les soignants et le système dans son ensemble.

