2 avril 2025
L’IA en santé face aux défis de l'empathie artificielle - Matthias Moreau
L’IA en santé face aux défis de l'empathie artificielle
CEO de Publicis Health France, Matthias Moreau nous décrypte en exclusivité pour l'Amphi les impacts de l'intelligence artificielle sur la relation soignant-soigné.
Alors que l'intelligence artificielle révolutionne progressivement le secteur de la santé, une question clé se pose : comment bénéficier de ces avancées technologiques sans sacrifier l'essence même de la relation soignant-soigné ? Si la promesse d'une médecine personnalisée à grande échelle est séduisante, le risque de tomber dans le piège d'une "empathie artificielle" n'a jamais été aussi présent.
La promesse d’une personnalisation algorithmique
La personnalisation des soins et de la communication en santé est souvent présentée comme la nouvelle frontière du progrès médical. De nombreuses startups et entreprises s’y attèlent, et on peut les comprendre, l'idée est alléchante : la promesse d’intelligences artificielles ou d’algorithmes capables d'analyser des millions de données en quelques secondes pour proposer un accompagnement sur-mesure à chaque patient répond à un enjeu majeur.
Il est vrai que les technologies nous permettent aujourd’hui de mener cette personnalisation qui était jusqu’alors difficile à passer à l’échelle, mais cette promesse masque un écueil majeur : la substitution progressive de l'empathie humaine par une simulation algorithmique.
Or, la communication soignant-soigné est par essence une discipline profondément humaine. Elle s'ancre dans l'écoute active, la compréhension intuitive et l'accompagnement bienveillant des patients dans leurs moments de fragilité. Pouvons-nous substituer ces qualités à des algorithmes, aussi sophistiqués soient-ils ?
Le mirage de l'empathie digitale
Les plus grands leaders mondiaux de l’intelligence artificielle cherchent à reproduire avec une vraisemblance troublante les traits humains, comme en témoignent les intonations toujours plus humaines de ChatGPT qui rappellent étrangement le film dystopique « Her », ou encore les outils de générations d’avatars IA qui vont jusqu’à reproduire la gestuelle humaine.
Mais si un patient reçoit des messages automatisés après une hospitalisation, sans jamais sentir qu'un être humain a véritablement pris en compte ses émotions et son vécu, se sentira-t-il aussi rassuré et armé pour affronter l’avenir ? Cette personnalisation ultra-automatisée peut parfois manquer cruellement d'âme. Notre humanité peut être simulée et reproduite, mais peut-elle égaler la main compatissante d’un soignant lors de l’annonce d’une nouvelle difficile ?
Ne prenons-nous pas le risque de déshumaniser un système de santé déjà perçu comme trop technique et distant par de nombreux patients ?
L'empathie naît de la rencontre authentique de deux êtres humains, de cette capacité à ressentir et à comprendre la souffrance d'autrui. Les technologies peuvent nous aider à apporter un niveau de service de qualité au plus grand nombre, mais ne doivent pas se substituer à cette connexion fondamentalement émotionnelle.
Pour une alliance entre technologie et humanité
Pourtant, renoncer aux apports de l'IA et des technologies serait une erreur. La technologie offre des possibilités extraordinaires pour améliorer la qualité des soins. L'enjeu n'est pas de choisir entre technologie et humanité, mais de les faire collaborer intelligemment.
Un exemple auquel j’ai été exposé récemment illustre parfaitement cela, le robot humanoïde Miroki, dévéloppé par la startup française Enhanced Tools. Ce robot capable de s’exprimer par le biais d’une IA embarquée est notamment utilisé par l’Institut du Cancer de Montpellier pour accompagner les enfants atteints de cancers durant leurs séances de radiothérapie, afin d’atténuer l’angoisse et la solitude des jeunes patients dans un moment où aucun soignant ne peut rester à leur chevet.
L'IA, et la technologie en général, doit être perçue comme un facilitateur et non comme une finalité. Elle peut, par exemple, dans les programmes d'accompagnement des patients atteints de maladies chroniques, aider à suivre précisément l'évolution de la santé d'un individu, adapter les communications à ses besoins spécifiques, ou encore calculer à quel moment cette personne doit prendre ses médicaments ou se rendre à une consultation. Toutefois, l'IA ne peut anticiper le stress ou l'anxiété ressentie par cette personne : ces messages doivent être conçus pour intégrer une dimension émotionnelle authentique, fruit d'une collaboration entre soignants et communicants. Cette compréhension émotionnelle reste le domaine exclusif de l'humain.
Vers un équilibre subtil basé sur la co-construction
Pour éviter de sombrer dans l'empathie artificielle, la co-construction devient impérative. Les professionnels de santé, avec leur connaissance fine des patients, les communicants, avec leur expertise dans la gestion des émotions et des messages, doivent collaborer étroitement avec les équipes spécialisées en IA.
Le défi majeur des années à venir sera de trouver l'équilibre subtil entre l'utilisation des capacités extraordinaires de l'IA pour personnaliser et optimiser l’expérience patient, tout en préservant ce qui fait la force du secteur de la santé : l'humain.
Dans cette transformation, l'empathie ne doit pas être sacrifiée. L’alliance entre technologie et humanité représente l'avenir d'une communication santé à la fois pertinente et profondément connectée aux émotions des patients.
L’IA est un outil puissant, mais n'oublions jamais que la clé d'une relation de confiance durable réside dans l'écoute, la compréhension et l'accompagnement empathique des individus que nous servons. L'empathie artificielle n'est qu'un mirage, seule l'empathie humaine peut véritablement contribuer activement au soin.
Matthias Moreau
CEO Publicis Health France