19 août 2025

Les femmes, forces vives du système de santé… et grandes oubliées de la gouvernance - Florence Herry

Les femmes, forces vives du système de santé… et grandes oubliées de la gouvernance

Infirmière, entrepreneure e-santé et fondatrice de Libheros, Florence Herry nous partage un avis engagé sur la place des femmes dans le monde de la santé et la prise en charge de la santé des femmes.

En tant qu’infirmière, entrepreneure en e-santé, et femme engagée dans les enjeux de santé publique, je fais chaque jour le même constat : les femmes sont omniprésentes dans notre système de santé… mais encore trop souvent absentes des postes où se définissent les orientations de la santé. Elles soignent, elles accompagnent, elles innovent, elles dirigent, mais peinent encore à se soigner elles-mêmes ou à faire entendre leur voix.

Chez les soignants, les chiffres sont révélateurs : près de 87 % des infirmier(ères), 91 % des aides-soignants(es), 68 % des pharmaciens, et 50 % des médecins sont des femmes (DREES). Autrement dit, la majorité des soins repose sur des épaules féminines. À domicile, cet engagement est tout aussi présent : environ 60 % des aidants familiaux sont des femmes (Ipsos), souvent en parallèle d’une vie professionnelle déjà exigeante. Les femmes sont ainsi les piliers silencieux du soin : hôpital, ville, domicile, structures d’accueil ou médico-sociales.

Mais quand il s’agit de piloter, de diriger, de décider, cette majorité disparaît. Certainement pas par manque de volonté ! Seulement 26 % des chefs de service hospitaliers sont des femmes, et cette proportion chute encore dans les postes de direction générale ou dans l’industrie pharmaceutique. Dans le domaine de l’innovation santé, le constat est tout aussi frappant : seulement 21 % des fondateurs de start-up en santé sont des femmes (France Biotech, 2023). Des initiatives comme Donner des ELLES à la Santé mènent des actions concrètes et s’engagent à faire avancer l’égalité professionnelle femmes-hommes dans le secteur de la santé pour combattre ces inégalités.

Un paradoxe inquiétant : la santé est féminine, mais la santé des femmes reste mal connue

Des pathologies comme l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), la ménopause ou les douleurs gynécologiques chroniques restent mal diagnostiquées ou peu comprises.

Quelques exemples : Une femme sur dix est concernée par l’endométriose, mais le délai moyen de diagnostic reste de 7 à 10 ans (INSERM). Les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité chez les femmes, sont encore trop perçues comme « masculines », retardant diagnostics et prises en charge : chaque jour, 200 femmes en meurent en France (Association Agir Pour le cœur des Femmes).

Ces biais trouvent leur origine dans l’histoire médicale : pendant longtemps, la médecine a été pensée par et pour les hommes. Les corps étudiés en anatomie étaient masculins. Les essais cliniques aussi. Le corps féminin, jugé « trop complexe », était écarté. Résultat : médicaments moins bien testés, effets secondaires mal identifiés, diagnostics biaisés. Les politiques d’inclusion dans la recherche (FDA, EMA, ANSM) tentent de corriger ce retard, mais les progrès restent lents.

À cela s’ajoute un phénomène bien connu : les femmes relèguent leur santé au second plan. Charge mentale, responsabilités familiales, rythme professionnel… 44 % déclarent avoir déjà renoncé à des soins pour elles-mêmes (CSA). Et 42 % ont déjà subi une discrimination liée à un trouble de santé spécifiquement féminin, 87 % estiment qu’il est difficile d’en parler en entreprise, et 80 % craignent que cela nuise à leur crédibilité (Etude Santé des Femmes Organon)

Pour une santé plus juste, 6 leviers d’action concrets me semblent clés :

  • Former systématiquement les professionnels de santé aux spécificités médicales féminines (endométriose, maladies cardiovasculaires chez les femmes, santé mentale, etc.).

  • Assurer une représentation équitable des femmes dans les instances de gouvernance, de recherche et de décision en santé (hôpitaux, ministères, industries de santé, agences publiques).

  • Soutenir les innovations thérapeutiques dédiées aux femmes.

  • Inclure obligatoirement les femmes dans les essais cliniques, afin de garantir la pertinence des traitements pour toutes et tous.

  • Intégrer la prévention santé féminine à tous les âges de la vie dès l’école jusque dans le monde du travail, à travers des campagnes régulières et accessibles, au même titre que d’autres actions de santé publique nationale annuelle.

  • Valoriser et soutenir l’entrepreneuriat et l’innovation portés par des femmes dans le champ de la santé

Mon engagement à travers libheros

Au sein de libheros, nous avons choisi de placer ces enjeux au cœur de l’action :

  • Accompagner des acteurs engagés dans la santé des femmes pour les aider à développer la recherche auprès des femmes en identifiant des professionnels de santé investis et formés (infirmiers, sages-femmes).

  • Informer les soignants sur les innovations thérapeutiques spécifiques aux femmes.

  • Organiser des soins à domicile adaptés à leurs besoins ou à ceux de leurs proches.

  • Mener des campagnes de prévention qui informent sans juger, libèrent la parole, renforcent les réflexes de dépistage et encouragent à prendre soin de soi.

Ces actions ont un impact réel : plus de 70 % des participantes à une campagne de prévention santé de la femme menée par libheros ont appris l’autopalpation pour la première fois, et chaque année, des centaines d’entretiens avec des sages-femmes du réseau libheros permettent de détecter des risques précoces ou d’amorcer un suivi gynécologique.

Mais pour changer d’échelle, ces initiatives doivent devenir la norme — pas l’exception.

Une cause intergénérationnelle, un enjeu collectif

Rendre visible, donner la parole, soutenir, prendre soin de la santé des femmes aujourd’hui, c’est aussi préparer la santé de demain. Il ne s’agit pas seulement de mieux accompagner la génération actuelle, mais d’éduquer les filles ET les garçons à une vision plus juste, plus inclusive, plus respectueuse du corps et de la santé.

Aussi, je suis fière de faire partie du Collectif Femmes de Santé, qui porte ces combats, et d’avoir figuré au palmarès des Femmes de Santé 2021, qui met en lumière celles et ceux qui agissent pour transformer le système. Ces engagements sont essentiels pour créer une dynamique collective, faire évoluer les mentalités et inspirer les générations futures.

La santé des femmes n’est pas un sujet « particulier » : c’est un pilier de la santé publique. Et il est temps de lui donner la place qu’elle mérite.