11 novembre 2025

Adel Mebarki : "Désinformation en santé : une crise silencieuse"

Désinformation en santé : une crise silencieuse

En amont de notre prochain dîner "Médecine, le futur est déjà là", Adel Mebarki, CEO de Foresight Data Agency, décrypte pour nous les enjeux de la désinformation en santé à l'heure de l'intelligence artificielle.

La désinformation ne relève plus de la communication, mais du soin. Elle influence les comportements, altère la confiance et modifie les trajectoires de santé. Comprendre cette dynamique, c’est reconnaître que le vrai défi de la médecine de demain ne sera pas seulement technologique, il sera cognitif.

Quand la désinformation devient un enjeu de santé publique

Longtemps perçue comme un simple parasite de l’espace médiatique, la désinformation en santé est désormais identifiée comme un facteur de risque à part entière. Une revue systématique publiée dans le Journal of Medical Internet Research a mis en évidence que les fausses informations médicales circulent massivement sur les réseaux sociaux, en particulier autour des vaccins, du cancer et des traitements alternatifs. Cette exposition constante a des conséquences mesurables : baisse de l’adhésion thérapeutique, retards de diagnostic, perte de confiance envers les institutions et les professionnels de santé.

Selon une étude du JAMA Network Open, l’exposition répétée à des contenus erronés sur le Covid-19 a réduit jusqu’à 20 % l’intention vaccinale dans certaines populations. Ce n’est plus une question d’opinion, c’est une question de santé publique. Dans ce contexte, la désinformation agit comme une pathologie chronique : diffuse, polymorphe, difficile à éradiquer, et qui trouve dans la viralité numérique un terrain de propagation idéal.

Un phénomène qui s’accélère et se systématise

La pandémie de Covid-19 a marqué un tournant. L’Organisation mondiale de la santé a parlé d’“infodémie” : une surabondance d’informations où se confondent vérité et croyance. Dans The Lancet Infectious Diseases, les chercheurs ont montré que la vitesse de circulation du faux dépasse largement celle des données scientifiques validées, un déséquilibre amplifié par la structure même des plateformes numériques.

Les algorithmes privilégient l’émotion à la précision. Une étude publiée dans Science a démontré que les contenus mensongers sont 70 % plus susceptibles d’être partagés que les contenus vérifiés. En santé, cet effet de viralité émotionnelle a des impacts concrets : rejet des vaccins, adoption de traitements non éprouvés, polarisation du débat médical. La désinformation n’est plus un accident de parcours, elle est devenue systémique.

Un phénomène appelé à croître

Rien ne permet aujourd’hui d’anticiper un reflux durable. Au contraire, les modèles de recherche en sciences sociales et en data science suggèrent une inertie croissante : une fois installées, les communautés de désinformation gagnent en cohésion et en capacité d’influence, selon une étude parue dans Nature sur la dynamique des réseaux antivaccins.

L’émergence de l’intelligence artificielle générative accentue cette tendance. Des travaux récents publiés dans PLOS Digital Health et Health Promotion International alertent sur la capacité des modèles génératifs à produire des contenus médicaux plausibles mais inexacts, difficiles à détecter même pour des lecteurs experts. À mesure que la technologie progresse, le coût de production du faux s’effondre, tandis que sa crédibilité perçue augmente. Le risque ? Une désinformation industrialisée, capable d’influencer les décisions médicales, les politiques de santé et les comportements individuels à grande échelle.

Le prochain virus à combattre ne sera pas biologique, il sera cognitif.

Responsabilité partagée : bâtir un écosystème de confiance

La lutte contre la désinformation ne relève plus de la seule communication, mais d’une stratégie de santé publique. C’est une responsabilité partagée, qui doit mobiliser chercheurs, décideurs, communicants, experts data, industriels et associations de patients.

Trois leviers émergent :

  • Mesurer la confiance comme un indicateur de santé à part entière ;

  • Structurer des coalitions de vérification scientifique à l’échelle des filières et des territoires ;

  • Former à la littératie numérique, pour rendre chaque citoyen plus résilient face à la manipulation informationnelle.

L’information fiable est désormais un soin à part entière. La médecine de demain se jugera aussi à la qualité de son écosystème informationnel. La qualité de notre santé dépendra, plus que jamais, de la qualité de nos sources.

Adel Mebarki
CEO Foresight Data Agency