5 novembre 2025

Laurence Comte-Arassus : "Et si la situation politique et l’économie de santé étaient indissociables ?"

Laurence Comte-Arassus : "Et si la situation politique et l’économie de santé étaient indissociables ?"

En amont de notre prochain dîner "Médecine, le futur est déjà là", Laurence Comte-Arassus, Présidente du SNITEM, nous pose une simple question : Et si la situation politique et l’économie de santé étaient indissociables ?

À l’approche de notre quatrième dîner de l’Amphi, « Médecine, le futur est déjà là », qui réunira plus de 200 acteurs de l’écosystème santé le 8 décembre, une question essentielle s’impose :

Et si la situation politique et l’économie de santé étaient indissociables ?

En tant que présidente du Snitem et citoyenne engagée, je suis convaincue que les choix politiques façonnent notre capacité à innover, à soigner, à prévenir, et à construire une médecine du futur qui ne soit pas seulement technologique, mais aussi organisationnelle, humaine et accessible.

Une excellence scientifique, mais un moteur grippé

Le 22 octobre dernier, la France est devenue le pays européen ayant déposé le plus de brevets publics entre 2001 et 2020, selon l’Office Européen des Brevets. Une performance remarquable, reflet de notre excellence scientifique.

Et pourtant, dans le même temps, le débat budgétaire du PLFSS s’est à nouveau focalisé sur des économies de court terme, sans vision durable. Chaque année, ce débat devient le théâtre d’arbitrages douloureux, dans un pays où le compromis reste difficile.

Sur le papier, tout semble réuni :

  • Des talents formés dans des centres d’excellence et des écoles renommées,

  • Un écosystème dynamique, avec des clusters comme Medicen, Paris Santé Campus, Eurobiomed…

  • Des soignants d’exception, qui ont tenu bon pendant la crise COVID,

  • Des organisations solides : GHT, CPTS, ARS…

  • Des financements publics et privés : BPI France, AIS, fonds européens…

  • Des innovations de rupture : chirurgie assistée, implants connectés, télésurveillance, DTX…

  • Des industriels engagés, qui investissent jusqu’à 13/15 % de leur chiffre d’affaires en R&D.

Mais la réalité est plus contrastée

Le moteur grippe. Le dossier médical partagé reste inaccessible à trop de patients. La prévention, bien que reconnue comme essentielle, demeure le parent pauvre du système. Le cloisonnement budgétaire empêche les transferts entre silos.
Même si le système prévoit des procédures censées faciliter l’innovation, l’arrivée des dispositifs médicaux innovants sur le marché reste un véritable parcours d’obstacles. Oui, les cadres existent (Pecan, accès précoce, forfait innovation) mais leur efficacité est encore limitée.

Le corps médical, épuisé et désorienté, perd trop souvent le sens de sa vocation. Les délais d’accès aux soins explosent, jusqu’à 12 mois pour un rendez-vous en ophtalmologie ou en gynécologie. Les dépassements d’honoraires deviennent un frein, et certains patients renoncent à se faire soigner.

L’âgisme s’installe : combien de fois entend-on qu’un parent n’a pas eu accès à un soin à cause de son âge ? Les personnes en situation de handicap restent invisibles, malgré l’élan des Jeux Olympiques. Et les conditions de vie des personnes du troisième et quatrième âge interrogent notre humanité.

Et pourtant, les progrès sont là

Des maladies autrefois incurables trouvent des traitements en quelques mois. Les dispositifs médicaux deviennent plus précis, miniaturisés, efficaces. L’imagerie permet de détecter des tumeurs invisibles à l’œil nu. On entre à l’hôpital le matin, on ressort le soir, là où il fallait autrefois des semaines d’hospitalisation.

Oui, le futur est là. Mais il avance en silence, parfois dans l’indifférence, souvent sans stratégie. Et surtout, sans ambition à la hauteur des enjeux sanitaires, économiques et sociétaux.

Un plan stratégique pour une vision à long terme

Nous mettons des pansements sur des fractures structurelles. Mais personne n’est dupe. Il est temps de dépasser les ajustements budgétaires de court terme. La France a besoin d’un plan stratégique de santé, avec une vision pluriannuelle, à l’image de ceux que nous avons pour l’énergie ou la défense.

Ce plan devrait :

  • Fixer une vision à 10, 20, 30 ans,

  • Articuler prévention, innovation, accès aux soins, souveraineté industrielle, formation et résultats qui comptent pour le patient…

  • Mobiliser l’ensemble des acteurs : État, collectivités, industriels, soignants, patients…

  • Assumer que la santé est un pilier stratégique de notre avenir collectif.

Et peut-être répondre à une question aussi simple que fondamentale : Voulons-nous la meilleure médecine, ou un système qui soigne tous les citoyens ? Et est-ce possible d’avoir les deux ?

Les industriels, partenaires de la transformation

Le coût d’un dispositif médical reste le même qu’on produise 10 ou 1 000 unités. Pourtant, les industriels doivent composer avec le MDR (Medical Device Regulation), la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), et un contexte géopolitique inédit…

Les industriels de santé ne peuvent plus être des variables d’ajustement. Ils doivent être partie prenante des solutions, dans un dialogue constructif, en pensant usage, prospective, expérimentation et déploiement, point demandé par un grand nombre d’acteurs.

Ils sont des acteurs essentiels du système de santé, bien au-delà de la seule mise à disposition des technologies. Ils contribuent pleinement à la prévention, au maintien à domicile, et à l’évolution des organisations hospitalières grâce à des solutions qui améliorent les pratiques, fluidifient les parcours et renforcent l’efficacité des soins.

La santé, pilier de souveraineté économique

La santé est une composante essentielle de notre économie, pas seulement en termes de dépenses, mais aussi de souveraineté. Nous disposons déjà d’outils puissants : BPI France, AIS, HAS, CEPS…

Alors, mettons nos efforts à reconstruire un environnement porteur d’espoir, souverain, industriel, innovant — au service des patients.

Ne cherchons pas des boucs émissaires. Construisons une médecine du futur qui commence par la prévention et accompagne jusqu’au quatrième âge. Car oui, l’intelligence artificielle, c’est pour tout le monde. Et les progrès à venir sont encore immenses.

Conclusion : assumer la réalité pour construire l’avenir

J’en suis absolument certaine : la situation politique et l’économie de santé sont bel et bien liées. Et c’est ensemble, en assumant cette réalité, que nous pourrons faire grandir une médecine du futur qui prévient, qui soigne, qui respecte, qui inspire et qui, je l’espère, sera accessible à tous les citoyens.

Les constats publiés récemment par la Cour des comptes plaident aussi pour des réformes structurelles de notre système de santé. Aucune économie conjoncturelle, aussi exigeante soit-elle, ne pourra assurer la soutenabilité du système.

Et ce n’est pas moi qui le dis !

Il faut du courage, oui. Il faut expliquer, travailler ensemble, et surtout mettre en action ce qui a déjà été proposé, — notamment dans le rapport Draghi, pour que la médecine du futur puisse réellement être là.

Laurence Comte-Arassus