5 mai 2025

Instantané de géopolitique du médicament à l’aune des conflits sino-américains - Frédéric Jallat

Instantané de géopolitique du médicament à l’aune des conflits sino-américains

Professeur & Directeur académique à l'ESCP Business School (Paris & London), Frédéric Jallat nous décrypte en exclusivité pour l'Amphi les enjeux de géopolitique du médicament à l’aune des conflits sino-américains

Le Président Trump personnifie à la fois le paradis et l’enfer des journalistes et des experts. The art of the deal met la stabilité de l’information à l’épreuve tout autant que celle des situations mais nous allons néanmoins tenter un instantané de géopolitique du médicament à l’aune des tensions sino-américaines actuelles.

Cette courte tribune est en partie nourrie de sources chinoises qui mettent en exergue que, depuis avril dernier, le médicament est officiellement entré dans la sphère des tensions géopolitiques entre la Chine et les États-Unis. Historiquement protégés, les produits pharmaceutiques sont désormais exposés à des surtaxes douanières pouvant atteindre 125 %. Cette escalade commerciale, d’abord économique, devient véritablement stratégique au-delà des deux pays concernés. La guerre tarifaire en cours agit comme un révélateur de la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales et du besoin croissant de souveraineté sanitaire à l’échelle planétaire.

Du côté américain, les exportations de médicaments vers la Chine — qui avaient atteint près de 10 milliards de dollars en 2023, soit environ 4% du total des importations chinoises en provenance des États-Unis, troisième poste après le soja et l’aéronautique en 2024 — deviennent économiquement fragiles, tout particulièrement pour 43 médicaments qui pourraient être directement affectés. Une hausse brutale des droits de douane menacerait leur rentabilité, annulant jusqu’à leurs marges brutes, estimées à 80 % en moyenne pour les médicaments innovants. Les fabricants chinois de génériques et de bio-similaires sont déjà en embuscade pour capter ces marchés fragilisés. D’autant que les mesures chinoises de centralisation des achats publics privilégient de plus en plus les alternatives locales.

Du côté chinois, l’industrie des principes actifs — représentant 80 % des exportations pharmaceutiques — réoriente partiellement ses flux vers le marché intérieur. Les autorités misent sur une montée en gamme des biotechs nationales, tout en s’inspirant du Critical Medicines Act européen pour sécuriser des stocks de molécules jugées sensibles.

Les officines comme les plateformes en ligne chinoises adaptent leurs stratégies : prix à la hausse pour les importations, guerre des prix sur les génériques, renforcement des marques locales.

Au cœur de cette confrontation : les médicaments innovants. Épargnés par les surtaxes car exportés sous forme de licences ou d’accords de co-développement, ils représentent un « havre de paix » relatif dans ce contexte instable et leur avenir reste incertain. Washington a récemment restreint l’accès de la Chine aux bases de données du NIH. Les deals signés en 2024-2025 entre les deux pays pourraient ne pas survivre si les exigences cliniques imposées à la Chine n’étaient pas remplies.

En toile de fond, une transformation systémique s’opère. Ce qui relevait hier de la coopération pharmaceutique s’apparente désormais à une compétition pour la souveraineté industrielle. La Chine accélère l’intégration verticale de sa chaîne de valeur, tandis que les États-Unis se recentrent sur leur leadership technologique.

Le médicament n’est plus un simple produit de santé. Il devient un marqueur géopolitique, voire un levier de puissance. Dans ce nouvel ordre mondial, la logique de partenariat cède le pas à celle de rivalité stratégique, accélérant l’émergence à terme d’une souveraineté pharmaceutique chinoise.

Frédéric Jallat, PhD

Professeur & Directeur académique
MSc. in Biopharmaceutical Management – ESCP Business School (Paris & London)
Membre de l’Amphi