13 mai 2025

Accès aux soins : la France doit repenser son système – Guillaume de Durat

Accès au soin : la France doit repenser son système – Guillaume de Durat

Président de l'Université des déserts médicaux et numériques, Guillaume de Durat partage à L'Amphi son regard sur le pacte gouvernemental concernant l'accès aux soins, dévoilé il y a quelques jours par le 1er ministre.

La situation des déserts médicaux en France est préoccupante, malgré les nombreuses initiatives législatives depuis 2017, comme la proposition de loi Garot et le pacte gouvernemental. Les mesures manquent d’efficacité, et la précipitation dans leur mise en œuvre est critiquée. La France doit repenser son système de soins, en tenant compte des évolutions démographiques et des ressources disponibles.

Les outils numériques en santé ne sont pas encore optimisés pour répondre efficacement aux besoins des patients, notamment ceux avec des comorbidités multiples. La profession médicale évolue, mais la régulation de l’installation des médecins et les obstacles géographiques demeurent problématiques. Pour surmonter ces défis, une approche intégrée impliquant divers ministères et secteurs, ainsi qu’une collaboration à long terme, est essentielle.

Partons sur un bon point : les politiques (ré)agissent. Après la proposition de loi Garot sur les déserts médicaux (dont le ministre de la Santé s’était opposé à l’adoption de son article 1er) voilà le pacte sur les déserts médicaux du gouvernement. Depuis 2017 pas moins de 18 propositions de loi à l’assemblée, deux groupes d’études de 135 et de 144 parlementaires. Le tout sans grand effet.

Moins bon point : la précipitation.

Ne pas confondre précipitations et rapidité. La rapidité n’exclue pas l’efficacité. La précipitation toujours.

Un pacte, c’est d’abord et juridiquement un accord. La levée de boucliers de la part des médecins devant les mesures prévues dans le texte ne présente pas les conditions habituelles d’un accord ou les parties se réjouissent des progrès accomplis de part et d’autre.

La France est un désert médical (encore plus depuis 10 ans), dès lors, ce qui était exceptionnel et pas supportable pour une partie des Français, devient une anomalie au niveau national. Peut-on encore parler de déserts médicaux, au pluriel.

Dans le même esprit, les solutions qui pouvaient être envisagées il y a 10 ans ne sont plus les mêmes. Il faut se poser la question de l’organisation des soins en France, et repenser le « système ». Nous n’aimons pas le terme d’ « offre de soins » à titre personnel car il ne s’agit pas ici de proposer partout quelque chose mais plus de répondre à un « besoin de soins ».  La sémantique à son importance.

La mentalité des médecins a changé en 10 années : on ne parlait pas de temps de travail en 2017 lors de nos premières universités, de conditions d’installation oui, de la promesse d’une aide importante du numérique en santé pour aller chez les patients ou au-devant. C’est devant ce premier écueil que notre think tank avait vu le jour avec des professionnels de santé, des patients, et des industriels.

Le développement de la e-santé n’est pas aussi abouti que l’on pourrait le souhaiter sans que l’on puisse faire porter la faute que sur les uns ou les autres. Les promesses de révolutionner la santé numérique tout en remettant l’humain au cœur sont comme les lendemains qui chantent. La Cour des comptes dans un récent rapport relevait que pour les seules téléconsultations, leur part dans l’offre de consultation occupe une place modeste et en érosion depuis la fin de la pandémie de covid-19 jusqu’à atteindre un niveau inférieur à celui fixé par la convention d’objectifs et de gestion passée entre l’État et la Cnam pour la période 2019-2022.

Une équipe de l’AP-HP s’est intéressée elle à la pertinence des outils numériques en santé pour les patients avec plusieurs comorbidités : une patiente avec cinq maladies chroniques devrait utiliser au moins treize applications et sept outils connectés pour un suivi médical efficace. Une situation « peu réaliste », selon les auteurs qui invite à réfléchir à l’approche des soins numériques.

Reste alors les facteurs humains, qui sont les plus compliqués à gérer.

Les médecins restent une catégorie à part des professionnels de santé : ils détiennent un pouvoir supérieur sur les autres professionnels, ils bénéficient d’une procuration sur le compte de l’assurance maladie par le truchement de l’ordonnancier. De là, une aura sur tous les autres, pharmaciens, infirmières,…

La profession se salarie, le numerus apertus ne va finalement pas tant changer les choses car le mode d’exercice en solitaire n’est plus de mise.

La proposition de loi présenté par M. Garot, sans aborder la régulation de l’installation (mais elle existe pour les pharmaciens…) occulte le fait qu’un médecin généraliste qui part à la retraite faisait 70 heures de travail. il faudrait qu’il soit remplacé par deux nouveaux et non un.

La question de faire venir des médecins 2 jours par mois voit également une opposition naitre. C’est presque une seule question de jours si on en croit Médecins Solidaires pour qui ce serait presque plus facile de faire venir des médecins de l’autre bout de la France une semaine que pour 2 jours.

Les mesures géolocalisées– comme la liaison aérienne Dijon-Nevers sont utiles (semble-t-il) mais tellement couteuses, limitées.

En revanche ce qui n’a pas changé, ce sont effectivement les difficultés de déplacement. Elles sont structurelles pour tous : lignes SNCF Paris-Clermont, paris Limoges, Bordeaux-Lyon qui n’existe plus. Elles sont démographiques car population vieillit et se déplace moins facilement

Dès lors

  • Pourquoi ne pas faire comme pour l’école Polytechnique ou l’ENA et consacrer un temps professionnel à l’État ?

  • Pourquoi ne pas systématiser les stages, susciter des vocations mais parallèlement regarder le niveau d’engagement de dépenses des nouveaux médecins (car on ne peut nier une certaine approche comptable) ? Autant les Français peuvent comprendre qu’on ne compte pas pour des soins, autant ajouter des surprimes aux primes, elles même en sus des cotations spécifiques…est moins facile à admettre.

  • La délégation de tache passe toujours mal.

Mais à regarder les propositions des syndicats de médecins comme celui de la CSMF, il y a beaucoup des choses à prendre bien sûr, et cela mérite de travailler ensemble, tous ensemble, avec une vision à 10 ou 20 ans. C’est vertigineux pour qui n’a jamais fait de programmation industrielle (du nucléaire à l’armement) ou de la R&D…c’est vrai que c’est tellement plus long qu’un mandat…et qu’un maroquin.

Enfin on parle de plusieurs ministères, il ne faut pas occulter l’aménagement du territoire (et pas que dans les mots) les transports, les télécommunications (connexion si si !), les écoles, les commerces. Il faut prendre le problème dans son ensemble. Le patient est aussi un citoyen… rappelait un député pour qui craignait que cette détresse ne se transforme en mécontentement dans les urnes.

La grande question du jour est en réalité… peut-on décréter la solidarité ?

Guillaume de Durat
Président de l’Université des déserts médicaux et numériques